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Le manuscrit

Un an s’était écoulé depuis qu’Anne s’était présentée à la porte du manoir. Elle s’était habituée à toute la famille et aux autres employés. Elle avait même réussi à se faire aux sautes d’humeur de Ferfried. Gertrude était un toujours un peu froide avec elle. C’était la seule avec qui elle n’avait pas pu vraiment créer de liens.
Eugénie en revanche, était une compagnie très agréable. Elle lui demandait souvent de l’accompagner en ville pour boire une tasse de thé dans un de ses salons fétiche ou pour faire les boutiques. Sa maitresse était également très généreuse. Elle lui offrait souvent une tenue qu’elle portait avec plaisir le soir pour sortir.
Depuis 2 mois, une nouvelle recrue était arrivée au sein de la famille. Jusqu’alors, c’était Joanne qui, en plus de s’occuper de la cuisine, gérait aussi le linge. Eugénie décréta, un jour où elle était de bonne humeur, que c’était trop pour la cuisinière et qu’une aide était nécessaire. C’est un homme qui prit cette fonction. Cela étonna un peu tout le monde dans la demeure. Mais il se montra à la hauteur de sa tâche. Pourquoi ne l’aurait-il pas été ?  Avait on vraiment besoin d’être une femme pour savoir faire des lessives ? Plus au 21éme siècle, heureusement !


Les saisons au manoir s’étaient écoulées plus agréables les unes que les autres. L’hiver n’avait pas été très rude. Il fut même plutôt agréable. Mais la saison qu’Anne avait apprécié le plus était le printemps où elle put faire de nombreuses balades à vélo dans les alentours du manoir. Ces sorties hebdomadaires lui permirent de mieux connaitre les environs et de se sentir enfin chez elle. L’été était donc de retour et le jeune femme n’avait jamais été aussi bien dans sa vie. Mais sa famille lui manquait. Anne avait s’était vu accorder quelques jours de repos. Encore une marque de la générosité de sa patronne. Normalement, elle n’accordait pas de vacances au mois de juillet car c’était un mois où elle sortait beaucoup et elle exigeait que sa dame de compagnie l’accompagne à chaque sortie.  Mais Eugénie, qui était mère elle aussi, avait pensé à Isabelle qui devait se languir de sa fille. Elle l’autorisa donc à rendre visite à sa famille. 

Les retrouvailles après des mois de séparation avaient été très joyeuses. Paul était maintenant fiancé à Kimberly. Il le lui avait annoncé par visio. Elle avait pu les féliciter à distance, mais à l’occasion de ce voyage, elle avait pu les prendre dans ses bras et partager leur bonheur. Isabelle était tellement contente d’avoir hérité d’une belle fille qui se montrait très utile à la ferme. Anne lui avait alors dit, taquine :
— Tu vois, je t’avais dit que les Freeman sauraient t’aider.
Sa mère l’avait regardé en coin, devinant qu’elle connaissait les intentions de son frère avant son départ.
— Tu aurais pu m’en parler plus explicitement, lui répondit elle, le sourire aux lèvres.
Anne était heureuse de voir que tout se passait bien pour ses proches. 

Elle était retournée à Hechingen le cœur léger et déterminée à mener à bien son projet. L’Australie l’appelait plus que jamais !
De retour dans son quotidien, elle avait pensé prendre un appartement en ville pour avoir un espace privé plus grand, mais elle y avait finalement renoncé. Les prix étaient beaucoup trop élevés et sa petite chambre au sein du manoir lui permettait d’avoir suffisamment d’intimité et surtout de mettre de l’argent de côté en prévision de son installation à Melbourne.
Elle s’était offert un vélo à la place, ce qui lui permettait de faire ses longues balades dès qu’elle le pouvait. Depuis quelques mois, elle passait de plus en plus de temps avec Joanne et Clark. Elle les appréciait et aimait beaucoup leur compagnie. Et puis elle ne connaissait personne d’autre dans les environ. Elle appelait aussi régulièrement son amie Sarah. Comme elle ne sortait qu’avec son couple d’amis, elle n’avait pas l’occasion de faire d’autres connaissances. Pour tout dire, cela ne lui manquait pas. De nature sauvage, elle aimait les moments de solitude qu’elle pouvait s’octroyer en dehors de ses horaires de travail. 

Comme elle était libre à 16h tous les jours, elle aimait mettre ce temps à profit pour se promener en empruntant le sentier qui passait derrière la maison. Par une belle soirée d’été, elle marchait en cueillant quelques fleurs sauvages quand elle vit un homme se précipiter vers elle en courant. Il avançait vers elle la fixant d’une drôle de façon, comme s’il allait l’agresser. Anne ne sut que faire et resta figée sur place, comme tétanisée. De ce qu’elle pouvait voir, l’homme devait avoir une trentaine d’année. Plus il s’approchait, plus elle pouvait discerner la peur qui se lisait sur son visage. Une fois qu’il fut arrivé à sa hauteur, il ralentit. Anne apeurée voulut partir dans l’autre sens, mais l’homme eut le temps de lui attraper le bras. Elle se retourna et put voir ses yeux bleus qui la transperçaient. Il lui tendit quelque chose qui ressemblait à un vieux livre, très ancien, sans couverture. Anne pensa à un vieux manuscrit. Il lui mit dans les mains, faisant tomber les fleurs sauvages qu’elle venait de cueillir

 — Gardez ce livre jusqu’à ce que je revienne le chercher. Dit-il en tenant toujours le manuel. C’est très important. Et ne le montrez à personne. Je compte sur vous, Anne.

—  Il connait mon prénom !  S’étonna-t-elle. Cela l’effraya un  peu plus.

 Elle voulut lui poser des questions, mais il ne lui en laissa pas le temps. Il lâcha le livre qu’elle faillit laisser tomber tellement il était lourd. l’homme repartit en courant aussi vite qu’il était arrivé, laissant la jeune fille seule avec ce vieux livre dans les mains. Elle le regarda, il était si lourd qu’Anne se demanda ce qu’il pouvait bien contenir de si important.

Boulversée par ce qui venait de lui arriver, Anne mit fin à sa promenade. Elle reprit le chemin de la maison pour mettre à l’abri ce nouvel objet qui lui avait été confié par un inconnu qui connaissait son prénom. Elle se posait une multitude de questions : Qui était cet homme ? Comment se faisait-il qu’il connaisse son prénom ? Que savait-il d’autre sur elle ? Ce livre avait-il un lien avec elle ? Quand est-ce qu’il reviendrait chercher ce livre ?

—   J’aurais très vite des réponses, pensa-t-elle. 

Pour le moment, l’important était de mettre ce manuscrit à l’abri des regards

Son intuition lui disait qu’elle était en danger maintenant qu’elle était en possession de ce manuscrit. C’était surement l’attitude étrange ce cet homme qui avait contribué à cette impression.

Une fois dans sa chambre, elle fut tentée d’ouvrir le livre qu’elle tenait en main. Elle s’assit sur son lit, le manuscrit sur les genoux. Elle le regardait en continuant de se poser une multitude de questions. L’homme ne lui avait pas interdit de l’ouvrir. Il lui avait juste dit de ne le montrer à personne. Par chance, elle n’avait croisé personne en rentrant à la maison. Elle fixa encore longtemps ce livre qui sentait le vieux papier. Il n’avait pas de couverture rigide. Sur la première page un titre énigmatique : mission crépuscule. Elle, qui aimait lire des romans policiers et résoudre des mystères, était tentée d’ouvrir ce livre qui se voulait prometteur. Mais elle n’en fit rien. Elle le rangea dans un sac et le posa sur la chaise près de sa porte en pensant que l’homme reviendrait rapidement le chercher. Toutes ses émotions l’avait retournée mais lui avait aussi donné faim. L’anxiété avait cet effet sur elle, il lui ouvrait l’appétit. Ce qui pouvait être embêtant car en général elle était plutôt attiré par des aliments riches en graisse. Elle descendit à la cuisine où elle retrouva Joanne. Cette dernière était afférée à préparer le repas du soir. L’odeur de poulet rôti flottait dans toute la cuisine. 
— Tu veux que je t’aide à couper les pommes de terre ? Proposa Anne qui préférait s’occuper pour ne pas être tentée de grignoter de tout et n’importe quoi. Même si cet odeur avait encore plus aiguisé son appétit. Mais l’heure du repas arriverait vite, elle voulait se montrer raisonnable.
— Je veux bien, c’est gentil. Pendant ce temps, je vais mettre les haricots à cuire. Tu es rentrée tôt, aujourd’hui.
Anne ne savait pas trop si elle devait mentionner l’épisode de l’inconnu à Joanne. Il lui avait demandé de ne parler à personne de ce livre. Mais elle pouvait peut-être parler de ce qu’elle avait ressenti pendant ce moment qui lui paraissait maintenant complètement irréel. Elle se décida à parler, mais elle n’en eut pas le temps. Claude fit irruption dans la pièce :
— Je ne peux plus supporter cet homme, dit-il exaspéré.
Il se dirigea vers le placard réservé aux boissons apéritives et en sortit une bouteille de whisky.
— J’ai besoin d’un remontant, justifia-t-il

Joanne le regarda avec un sourire en coin :

— L’alcool ne résout rien, tu le sais bien ! Joanne était toujours inquiète quand il s’agissait d’alcool. Son père en avait bien trop abusé et elle ne voulait pas que Claude soit ce genre de personne.
— Oui, je le sais, mais c’est l’heure de l’apéro, non ? Claironna t-il en ouvrant les bras et avec un grand sourire, satisfait de son annonce. Et vous allez vous joindre à moi, ce sera toujours agréable de se faire plaisir, dit-il l’air malicieux. Sans attendre il ouvrit la bouteille de ce whisky qu’il avait acheté lors de son voyage en Ecosse.
Anne, qui avait elle même besoin d’endormir ses émotions, trouva que c’était une bonne idée. Elle sortit 3 verres, les présenta à Claude qui servit la boisson pour les trois jeunes gens. Joanne se rangea à l’avis de ces acolytes. Des pistaches trouvées dans un placard seront offices de biscuits apéritif.


— Qu’est-ce qui s’est encore passé avec ce bon vieux Ferfried ? Demanda Joanne pour montrer que le sort de son compagnon l’intéressait.

— Comme toutes les semaines, il a voulu aller en ville pour acheter ses biscuits qu’il cache dans sa chambre pour pouvoir grignoter le soir. Mais il n’y en avait plus ! Et tu imagines facilement sa réaction !

— Il t’a insulté de tous les noms et à même soutenu que s’était de ta faute, je parie.

— Exactement ! Ce n’est vraiment pas possible d’être aussi hargneux !

Les trois jeunes gens éclatèrent de rire, détendus par ce moment convivial qu’ils partageaient. Anne ne voulut pas gâcher se moment et préféra se taire et ne pas révéler ce qu’il s’était passé plus tôt dans l’après midi.

****

            Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis cet étrange évènement. Voyant que l’homme ne revenait pas, Anne ne put résister plus longtemps. La curiosité que suscitait la possession de ce livre ancien était trop forte. Peut-être contenait-il un message secret, ou encore une carte qui menait à un trésor… L’imagination de la jeune fille avait adopté mille scénarios qu’elle voulait maintenant explorer.

Ce jour-là, après le travail, elle ouvrit ce mystérieux ouvrage, qu’elle nommait mentalement le manuscrit. Elle commença sa lecture avec avidité. La lecture était si captivante qu’elle lut très tard ce soir-là. Le lendemain, elle l’emporta avec elle pour pouvoir le lire, dès qu’elle avait une minute. Mais elle se montrait très prudente, car ce qu’elle ne voulait pas trahir la confiance que lui avait accordé cet inconnu. Si on lui demandait ce qu’elle lisait, elle répondait que c’était un vieux livre de famille qu’elle venait de recevoir de sa grand-mère. Mais pour éviter les questions, elle l’avait enveloppé dans une serviette épaisse. Elle le laissait sur la desserte qui lui servait à emporter les draps, les serviettes de bain et coussins qu’elle devait changer quotidiennement dans chaque chambre occupée par un membre de la famille. Ainsi, quand quelqu’un passait à coté d’elle, il avait l’impression qu’il s’agissait d’un tas de serviette sales.

Les jours passaient et l’homme ne se manifestait toujours pas pour récupérer son livre. Ce qu’elle lisait et découvrait dans ce manuel l’excitait tout autant que cela l’inquiétait.  Elle  pensait souvent à l’inconnu de la forêt. Certes, il n’avait pas donné de date de son retour, mais cela faisait déjà deux semaines qu’il lui avait confié le manuscrit et Anne commençait à se sentir en danger. Elle ne comprenait pas tout, mais ce qu’elle apprenait devenait vraiment louche. Elle pensa même à aller trouver la police pour leur expliquer la situation.

— J’attends encore deux jours et je vais les voir ! Se promit-elle.

Elle décida également de ne plus continuer la lecture, même si elle en avait très envie. Elle termina donc son service sans plus toucher au manuscrit. Dans l’après-midi, elle le remit dans sa chambre, à l’abri des regards. Cependant, elle était très préoccupée et réfléchissait pour trouver une solution pour retrouver l’homme et lui rendre ce livre qui devenait vraiment encombrant.

Après avoir terminé ses tâches de la journée et s’être changée pour la soirée, elle passa dans la cuisine pour voir son amie. Joanne, qui n’avait pas l’habitude de voir Anne avec une mine renfrognée, lui demanda :

 — Tout va bien, Anne ? Je te trouve étrange depuis quelque temps.

Anne voulu tout lui dire, lui expliquer ce qu’elle vivait et les doutes qui l’habitaient, mais elle se rappela la promesse qu’elle s’était faite un peu plus tôt : encore deux jours avant d’en parler.

 — Tout va bien, merci, je suis juste un peu fatiguée en ce moment, ne t’inquiète pas.

Elle sourit à son amie pour la rassurer et prit un air plus jovial.

 — Je vais aller faire un tour près de la forêt pour me détendre un peu, tu veux venir avec moi ?

Elle posa la question en sachant que Joanne et Claude avait prévu de sortir ce soir. Elle connaissait d’avance la réponse, mais cela lui permettait de donner le change pour que son amie ne lui pose plus de questions.

 — J’aurai vraiment aimé, soupira cette dernière, une petite balade en plein air me ferait vraiment du bien en ce moment. Mais j’ai promis à Claude de l’accompagner voir sa maman qui est en ville pour quelques jours.

Elles se saluèrent amicalement et Anne partit à vélo avec le livre qu’elle avait récupéré, délicatement posé dans le panier avant. Elle s’était dit qu’en allant vers la forêt, elle verrait peut-être l’inconnu qui pourrait enfin lui fournir des explications. Elle pédalait doucement. Elle n’était pas pressée ce soir, de se retrouver à la lisière de la forêt. Un étrange pressentiment l’animait. Et bien qu’elle eût envie de rendre ce livre, elle appréhendait aussi le moment où elle se retrouverait face à cet homme dont elle avait découvert quelques secrets.

Elle arriva à l’endroit où elle s’installait habituellement pour lire ou ramasser des fleurs, non loin de l’endroit où elle avait croisé le chemin de l’homme au manuscrit. De loin, elle vit quelqu’un qui semblait attendre. Il était de dos, elle ne le reconnaissait pas. Elle sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine. Était ce l’homme qui l’attendait pour récupérer le livre ?  Devait elle faire demi-tour ? Elle y renonça, pensant que c’était le moment où jamais de se débarrasser de ce fardeau. Elle pédala un peu plus vite, soudain heureuse à la perspective de retrouver un quotidien plus léger sans l’inquiétude qu’elle ressentait ces derniers jours. . Mais plus elle s’approchait, plus elle comprit que ce n’était pas l’inconnu qui attendait ici. Arrivée à la hauteur de l’individu, elle descendit de vélo, très surprise de celui qu’elle voyait devant elle.

 — Vous vous êtes perdu, M. De Hohenzollern ? Demanda Anne soulagée au fond d’elle que ce soit quelqu’un de familier qui se tenait devant elle.

 — Tu sais que je n’aime pas que tu m’appelles comme ça ! Lui lança Clark avec un sourire gêné.

Elle le savait, en effet, mais elle aimait aussi le taquiner, il réagissait toujours au quart de tour.

— Que fais-tu ici ?

Clark était plus timide qu’à son habitude. Anne fut amusée de voir qu’il perdait sa contenance et son habituelle assurance.

 — Oh ! Devina-t-elle, tu as un rendez-vous galant ?  Si tu as donné rendez-vous ici à quelqu’un, je peux aller lire ailleurs…

 — Non ! Cria presque Clark qui était devenu écarlate.

Anne l’observa s’en comprendre ce qu’il essayait de lui dire.

— Non, tu n’as pas de rendez-vous galant, ou non, tu ne veux pas que j’aille lire ailleurs ?

Clark se dandinait d’une jambe sur l’autre de plus en plus mal à l’aise. Il prit une grande inspiration et se lança :

 — Je suis venu pour te voir, finit-il par dire toujours aussi gêné.

 — Oh, mais on s’est vu aujourd’hui au manoir…  Elle mis une main sur sa bouche, c’est ta mère qui a besoin de moi ? Conclut elle, prenant déjà son vélo pour retourner en urgence au manoir.

Clark posa délicatement sa main sur la sienne et l’aida à reposer le vélo contre l’arbre. Sa douceur la surpris.

—Non, je voulais te parler en tête-à-tête. Ça fait un moment que j’en ai envie et pour te dire la vérité, ça fait plusieurs soirs que je viens ici, espérant t’y rencontrer.

Décidément, Anne le trouvait bien étrange ce soir. Elle attendit la suite le cœur battant.  Avait-elle fait quelque chose qui l’avait contrarié ? Peut-être qu’elle avait mal effectué son travail et qu’il ne savait pas comment le lui dire.

Elle le vit prendre une profonde inspiration avant qu’il n’ose enfin se lancer :
— Je suis tombé amoureux de toi, Anne. Dit-il simplement en se retournant vers la maison pour cacher sa trop vive émotion.
Ça avait le mérite d’être clair, mais Anne ne sut comment réagir. Elle ne s’attendait pas à une telle déclaration. Son cœur battait encore plus vite que tout à l’heure. Elle n’avait jamais envisagé que Clark puisse la considérer autrement que comme une domestique. Mais maintenant qu’il lui parlait de ses sentiments, elle repensait à toutes ses fois où ils avaient partagé des moments de détente ensemble, et elle se dit que peut-être qu’elle aussi avait des sentiments amoureux. 

—J’ai mis longtemps à t’en parler, reprit-il, principalement à cause de ma mère qui est très à cheval sur la position sociale.
Anne ne répondit rien, elle voulait le laisser s’exprimer jusqu’au bout.
— Elle verrait vraiment d’un mauvais œil si on devait se fréquenter. Elle a des idées très archaïques, tu as dû le remarquer…
Anne ne dit toujours rien, ne sachant pas ce qui allait suivre.
— … Je t’avoue que je ne savais pas trop quoi faire. Et puis, je me suis dit que peut-être que tu ne partageais pas mes sentiments. Et si c’était le cas, je n’aurais plus besoin de me poser la question…
Il laissa cette phrase en suspens, regardant maintenant la jeune fille avec des yeux aussi inquiets qu’interrogateurs.
Anne, encore sous le choc de cette révélation, resta, quelques secondes, silencieuse. Ses secondes parurent interminables pour Clark. Puis, elle fut prise d’un fou rire nerveux. Son ami ne sut comment le prendre. Il la regarda quelque peu dubitatif. Elle réussit enfin à dire :
— Je ne m’attendais pas du tout à une telle déclaration ! Mais je comprends que tu n’es pu résister à mon charme, dit-elle, ramenant sa mèche de cheveux en arrière, aussi taquine qu’elle l’était avec lui continuellement. 

— Pour être plus sérieuse, si j’écoute mon cœur qui bat la chamade, je te réponds que malheureusement, il va falloir trouver une solution à ce problème, car je crois bien être amoureuse de toi également.
Claude se mit à rire de soulagement à son tour. Puis il prit tendrement la jeune femme dans ses bras et l’embrassa pour la première fois. 

Elle aurait voulu passer la soirée entière blottie dans ses bras à discuter, faire des projets et rire, mais elle repensa soudain au manuscrit et à la raison de sa présence à la lisère du bois.
— Je suis toute bouleversée, réussit elle à dire malgré son désir de rester avec l’homme qu’elle considérait maintenant comme celui de sa vie.

— Je crois que j’ai besoin d’un petit peu de temps pour me remettre. Ça ne te dérange pas de me laisser un peu seule ? La lecture va m’aider à faire redescendre mes émotions.
Cette excuse ne surprit pas Clark qui avait l’habitude qu’Anne sollicite des moments de solitude. Il prit son visage entre les mains, l’embrassa une dernière fois :


— Retrouve moi tout à l’heure dans ma chambre pour qu’on finisse cette discussion, lui dit-il, la laissant à contrecœur.
Clark reprit le chemin du manoir le cœur léger, se retournant une dernière fois pour faire un signe de la main à celle qui faisait battre son cœur.
Il avait tellement appréhendé ce moment et maintenant, il se trouvait stupide d’avoir attendu si longtemps pour faire le grand saut.
Arrivé chez lui, il prit une bouteille de champagne dans la cave familiale ainsi que des coupes et monta le tout dans sa chambre faisant bien attention que personne ne le voit. Puis, il attendit sa dulcinée, mais celle-ci ne vint jamais…

****

Clark se réveilla le lendemain en sursaut. Il s’était endormi sur le canapé de sa chambre pendant qu’il attendait Anne. Se souvenir le mit en panique. Craignant qu’il fût arrivé quelque chose à son amie, il se précipita à l’étage pour voir si elle était bien dans sa chambre. Il entra sans frapper. Anne, qui était en train de s’habiller, cria de surprise. Voyant Clark dans l’embrasure de la porte elle réagit : 


— Qu’est-ce qui te prend d’entrer ainsi dans ma chambre ? 


— J’ai eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose, tu devais me rejoindre hier soir, je t’ai attendu toute la nuit !


— Oh, désolée, dit-elle simplement, j’ai oublié. Et dis moi, pourquoi devais je te rejoindre ?


Clark n’en crue pas ses oreilles. Avait elle vraiment oublié ? 


— Nous devions parler de nos sentiments l’un pour l’autre et de la façon de l’annoncer ou de le cacher à ma mère ! Lui répondit il un peu vexé.


Anne arrêta ce qu’elle était en train de faire, apparemment embarrassée. Elle s’avança vers Clark, mis une main sur son torse, le tapota légèrement et lui dit sur un ton  que Clark n’avait jamais entendu dans la bouche de la jeune femme :


— Clark, peu importe ce qu’on s’est dit hier soir, j’ai changé d’avis. Je suis bien toute seule et je préfère le rester. Elle lui tourna le dos, retournant à ses occupations. 

— Maintenant, peux-tu me laisser finir de me préparer pour que j’aille prendre mon service ?


Clark était sonné, après quelques secondes de perplexité, il accepta de quitter la pièce. Il n’était pas du genre à lutter contre la volonté de quelqu’un. Il resta quelques minutes derrière la porte de la chambre de celle qui était censée devenir sa petite amie. Il ne comprenait pas ce revirement de situation. En descendant les escaliers, il se dit qu’elle avait dû réfléchir pendant son moment de solitude d’hier et qu’elle en était arrivée à la conclusion qu’elle ne voulait pas se mettre en froid avec sa mère. Il pouvait le comprendre puisqu’elle mettait en jeu son travail. Mais il aurait tout de même besoin de quelques explications supplémentaires.

Les jours passèrent pourtant sans qu’il n’eût l’occasion de recueillir plus d’informations sur ce revirement soudain.
Anne se montrait fuyante, l’évitant de façon évidente.
Ce qui inquiétait surtout Clark, c’est que, de l’avis de tous, Anne était différente depuis ce fameux jour où il lui avait confié ses sentiments.
Joanne lui avait même avoué :


— Elle ne veut plus sortir avec nous, on dirait qu’elle nous évite. Je ne sais pas ce qui lui prend en ce moment, mais il est impossible d’avoir une vraie conversation avec elle !


Pour essayer de comprendre ce qu’il se passait dans la tête de la jeune fille; Clark se mit à l’observer aussi discrètement que possible. Il la voyait souvent avec un vieux livre qu’elle emmenait partout avec elle.


— Que lis-tu ? Avait-il essayé de lui demander un matin au petit-déjeuner.
Cette question l’avait fait levé la tête de façon dédaigneuse :


— Ça ne te regarde pas, lui avait elle répondu, partant finir son repas dans le petit salon.
Anne, qui était d’habitude si enjouée, bavarde et cordiale, était maintenant distante, taiseuse et solitaire. Au fil de ses observations, Clark avait fait le lien entre l’attitude d’Anne et la présence de ce livre. Il était apparu dans sa vie, le lendemain du jour où il lui avait parlé. Avant ça, il n’avait jamais vu ce manuel. 
Il avait essayé de lui emprunter le livre, mais elle ne se montrait pas négligente avec ce dernier. Il était impossible de le lui subtiliser sans qu’elle ne s’en rende compte.
Fatigué de chercher à comprendre quelque chose d’incompréhensible, Clark fini par arrêter son investigation.
Il se rapprocha cependant du major d’homme et de la cuisinière, leur demandant de le tenir au courant de tout ce qui pouvait expliquer le changement d’attitude de la femme de chambre.