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Chapitre 3 – La vie au manoir

Le réveil la fit sursauter. Heureusement qu’elle avait réglé l’alarme, pensa-t-elle quelques minutes après.  Elle se serait certainement levée bien plus tard sans ce dernier !  La veille, elle s’était endormie sans s’en rendre compte, tant son livre était captivant. Il était encore ouvert à coté d’elle. La jeune femme ne savait pas à quelle heure exactement elle avait sombré dans le sommeil, mais ce devait être très tard car la lecture de son livre était bien avancée. Sortir du lit fut difficile, mais elle s’obligea à se lever rapidement. Il était hors de question qu’elle soit en retard pour son premier jour de travail au manoir.
Elle se prépara en vitesse et se félicita d’avoir préparé ses valises en rentrant du restaurant. Il ne lui restait plus qu’à ranger ses affaires de toilettes et à appeler un taxi. Comme il lui restait suffisamment de temps, elle décida de prendre un petit-déjeuner, même si le stress de ce premier jour lui coupait l’appétit. Quand elle arriva dans la salle à manger l’odeur du café et du pain chaud lui mit du baume au cœur.  À sa grande surprise, elle mangea avec plaisir. Ce repas, composé de tartines de pain recouvertes de confiture, d’un œuf à la coque et d’un peu de fromage lui donnerait la force d’affronter cette journée et de tenir jusqu’à l’heure du déjeuner. Pendant qu’elle se rassasiait, Anne laissa son esprit flâner. Elle n’était pas habituée à séjourner dans un hôtel. La dernière fois qu’elle y était allée, elle était avec son père qui l’avait emmenée lors d’un de ces nombreux voyages d’affaires. Se souvenir la rendit nostalgique de son enfance. La présence de son père lui manquait énormément. Elle prit le temps de s’attarder sur cette salle à manger. Elle regarda autour d’elle et se rappela l’effervescence qu’elle avait ressentie lors de ce fameux dernier voyage d’affaire. Elle ne se souvenait plus pourquoi elle avait accompagné Charles, son père. Elle ne se rappelait plus non plus ce qu’il faisait exactement. Elle ne l’avait jamais vraiment compris. Il devait être représentant commercial pour le compte d’une socièté quelquonque. Son père était toujours très évasif sur la question. Elle dut avouer également qu’elle ne s’y était jamais vraiment intéressée.

En s’attardant sur la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle ressentit un sentiment étrange de déjà vu qui l’a troubla. Elle essaya de décrypter les raisons de cette impression, tout en dégustant son café au goût prononcé et corsé. Il y avait ce tableau, au fond de la pièce, qui attirait particulièrement son attention. Elle se leva, tasse à la main, pour observer cette toile de plus près. La serveuse s’avança vers elle et lui demanda :

 — Vous avez besoin de quelque chose, mademoiselle ?

Surprise, Anne sursauta légèrement, elle sourit à la femme qui se tenait devant elle :

 — Tout va bien merci, j’admirais seulement ce tableau magnifique.

 — Il est effectivement très beau, il représente le château Hohenzollern tel qu’il était à l’origine.

 — Oh, c’est drôle, j’ai un rendez-vous aujourd’hui avec la famille De Hohenzollern pour un emploi.

La serveuse ne répondit pas, elle s’était déjà remise au travail, Anne l’a vit afférée à débarrasser les tables. Elle regarda l’heure : 7 h30.

Elle dut se dépêcher pour ne pas arriver en retard au manoir. Le taxi avait été prévenu avant qu’elle ne commence son petit-déjeuner, il était à l’heure, tout comme elle, bien qu’elle se soit un peu trop attardée dans la salle du petit déjeuner. Toutes les valises entrèrent dans le coffre malgré la petite taille de la voiture. Dans le taxi, elle repensa à cette toile vue à l’hôtel. Pourquoi avait elle ressenti le besoin de la scruter de plus près ? Et d’où venait cette impression de déjà vu qu’elle avait ressentie ? Elle se demanda si c’était dans cet hôtel qu’elle était allée avec son père il y a 10 ans.  Elle rejeta cette idée qui lui parut trop folle pour être vraie.

—Ce serait fou comme coïncidence, chuchota-t-elle avec un sourire aux lèvres.

Pourtant, elle avait répondu à cette annonce parce que le nom qu’elle avait lu l’avait attiré : De Hohenzollern. Et quand elle y repensait, elle avait déjà eu cette sensation quand elle avait effectué des recherches sur la famille pour laquelle elle allait travailler. Elle n’eut pas le temps d’y penser plus longtemps. Elle arrivait au manoir. Il était 7h55. C’était un peu juste, surtout qu’elle devait prendre possession de sa nouvelle chambre avant de commencer son travail à 8h00 pétante lui avait préciser la maitresse de maison. Après avoir traversé une cour parfaitement entretenue, avec de magnifiques espaces verts de chaque côté du chemin qui menait à la maison, le taxi s’était garé au pied d’un double escalier que menait à la porte d’entrée. Elle remercia son chauffeur et le paya. Il l’aida à sortir ses valises du coffre et à les monter jusqu’à la porte d’entrée. Elle lui fut reconnaissante pour ce geste fort sympathique et lui donna un pourboire bien mérité. Cela faisait peu de temps qu’elle était arrivée dans la région et elle avait déjà pu constater que tout le monde se montrait plutôt sympathique avec elle. Il ne lui restait pas beaucoup de temps avant d’être considéré comme juste à l’heure, voire en retard, mais elle prit tout le même le temps d’observer cette vaste demeure. Les fenêtres avaient des croisillons blancs ce qui donnaient à la maison un charme authentique. Le nombre conséquent de fenêtre laissait présager de nombreuses pièces à entretenir. Elle en avait compté 12 uniquement sur la façade avant, sans compter celles qui donnaient sur le sous-sol. Les volets noirs lui donnaient une impression d’austérité qu’elle espéra ne pas retrouver à l’intérieur et encore moins dans la personnalité de ses occupants.

Elle prit une grande inspiration, l’air sentait l’herbe fraichement tondue. Une fois mentalement prête, elle sonna.
À sa grande surprise, ce fut Claude qui lui ouvrit. Puis, elle se trouva bête, il était le major d’homme, c’est normal que ce soit lui qui ouvre. Ça avait déjà été le cas la veille, quelle étourdie ! Le jeune homme l’a salua et il l’aida à déposer ses valises dans un recoin de la cuisine et lui conseilla de se rendre immédiatement dans la chambre de Madame. Elle s’installerait dans sa chambre à la pause de midi. Elle suivit le même chemin que la veille, mais seule cette fois, pour trouver la chambre de la maitresse de maison. La porte n’était pas fermée.
Eugénie se tenait devant la porte-fenêtre de sa chambre, buvant son thé. Elle était encore en tenue de nuit. Anne la trouva très élégante. Elle avait les cheveux relevés en un chignon qui paraissait structuré tout en ayant un aspect décoiffé. Sa robe de chambre était en soie jaune pâle ce qui allongeait sa ligne déjà élancée. La lumière du soleil matinal donnait à son teint une couleur douce et chaude que les photographes auraient adoré pouvoir capturer. Une odeur de thé et de viennoiserie flottait dans l’air. L’ambiance était chaleureuse et Anne se sentit à l’aise et tout son stress retomba.

 — Entrez Anne, je vois que vous êtes à l’heure. Je suis contente de pouvoir compter enfin sur une dame de compagnie. Elle se retourna. Je préfère vous qualifier de dame de compagnie, plutôt que de femme de ménage, si cela vous convient. Vous constaterez vite que vous me tiendrez souvent compagnie. Voulez-vous une tasse de thé, c’est un thé matcha, il est délicieux ?

Anne ne s’attendait pas à un tel accueil, mais ce début de journée lui convenait parfaitement et elle n’était pas contre une tasse de thé. Le café qu’elle avait bu à l’hôtel lui avait laissé la gorge sèche.

 — Je n’en ai jamais goûté, malgré tout le bien qu’on en dit sur les réseaux sociaux. J’accepte donc votre proposition. Lança-elle avec entrain.

 — Parfait, cela nous permettra de parler de votre planning et de vos différentes tâches. Asseyez-vous et servez-vous une tasse, je vais chercher le planning de Carla.

Une fois le planning décortiqué et le thé dégusté, Eugénie se mit en devoir d’accompagner Anne dans chaque pièce de la maison pour lui dire quelles tâches l’attendaient exactement. Et des pièces, il n’en manquait pas dans la maison. Ce petit tour du propriétaire lui permit de faire la rencontre de quelques uns des habitants de la maison. La première personne dont elle découvrit fut le maître des lieux : Ferfried De Hohenzollern, le mari d’Eugénie. Sa chambre était juste à côté de celle de sa femme. Il ne parut pas ravi de la présence d’Anne. Elle le trouva grognon et de mauvaise humeur.

— Ma chambre n’a pas besoin de subir vos assauts chaque jour, contrairement à ce que vous dira ma très chère épouse. Je m’en occupe très bien tout seul. De plus, Gertrude s’occupe très bien de moi ! Lâcha-t-il sans même prendre la peine de dire ne serait-ce que bonjour à la jeune femme.

Puis il reprit la lecture de son journal, sans même attendre une réponse. Anne observa cet homme entre deux âges. Elle ne pouvait pas vraiment le qualifier de « vieux », mais il n’était pas jeune non plus. Il était assit sur un fauteuil à l’allure fort confortable qui était installé face à la fenêtre. Sa chambre était l’identique reproduction de celle de son épouse. Elle possédait elle aussi une magnifique vue sur l’extérieur. Voyant que l’homme face à elle n’avait aucune intention de poursuivre la conversation.

 — Très bien, répondit elle simplement. Ce qui ne provoqua aucune réaction chez son interlocuteur.

Gertrude devait être la femme dans le fond de la pièce visiblement occupée à préparer les médicaments de M. De Hohenzollern. Elle avait l’air d’une infirmière compte tenu de sa tenue. Elle n’était pas ravissante, avait un aspect plutôt strict et sûrement très froid, car elle ne prit pas le temps de se retourner pour saluer et se présenter à la nouvelle venue. Anne se fit la réflexion que ces deux-là c’étaient bien trouvés, impolis tous les deux ! Le chignon strict de l’infirmière, donnait le ton de sa personnalité. Anne l’observait de profil et pouvait voir ses lunettes rondes et devina un regard noir presque inexpressif. Anne prit note pour elle-même de ne jamais contrarier cette femme.

Elle jeta un œil autour d’elle pour se faire une idée de l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Comme dans la chambre d’Eugénie, qu’elle qualifierait plus de suite que de chambre, il y avait un lit King size au fond de la pièce, et un grand salon avec deux fauteuils, une table basse destinée à accueillir le thé de 17 h. Au mur, une grande télévision était accrochée et des lampes étaient réparties un peu partout dans la pièce. Hormis la télé, tout le reste semblait dater des années 30. Tout était harmonieux et de grande qualité. Elle constata que la pièce était en ordre et très propre. Ce qui confirmait que Ferfried et Gertrude s’en occupait très bien. Elle fut soulagée d’avoir un peu de travail en moins.
Son regard se tourna à nouveau vers le vieil homme. Malgré son âge, Anne devinait qu’il avait dû être un séduisant jeune homme. Il avait encore un certain charme, si on y regardait bien. Ses cheveux n’avaient encore rien perdu de leur brun naturel. Ses yeux étaient marrons/verts et bien qu’il soit resté assis, il paraissait grand et devait mesurer au moins 1 m 80.  Dommage qu’il soit si antipathique !

Anne mit la matinée à faire le tour de la maison avec Eugénie. Il y avait tant de pièces. Elle se demandait si elle aurait assez de temps pour tout faire. Mme De Hohenzollern, qui avait deviné sa préoccupation, la rassura lui certifiant qu’une fois que le rythme serait pris, elle s’en sortirait très bien.
Pendant la pause de midi, elle intégra sa chambre. Claude et Joanne l’aidèrent à monter ses valises au dernier étage. Puis, ils l’a laissèrent s’installer. La fenêtre donnait sur le vaste parc de la propriété. C’était l’avantage d’être au troisième étage. La pièce, bien que petite, était bien agencée et aménagée de façon très douillette. Un lit avec une couette confortable habillait le mur du fond. Un petit salon avec deux fauteuils de taille moyenne faisait face à la fenêtre. Ce serait sa place favorite pour lire, se dit-elle instantanément. Derrière les fauteuils, se dressait une grande armoire dans laquelle rentreraient largement toutes ses affaires. Elle pouvait même se permettre d’en acheter d’autres. Ce qu’elle appréciait par-dessus tout, c’était d’avoir son petit espace pour faire sa toilette. En effet, une petite pièce avait été aménagée avec un WC, un petit lavabo et une douche. L’ensemble était un peu étroit, mais ce serait plus appréciable que de partager l’endroit avec d’autres personnes. Et surtout, pas la peine de sortir en pyjama le matin pour prendre une douche.

Satisfaite par son installation, et heureuse de cette chambre rien qu’à elle, elle descendit manger à la cuisine où elle avait prévu de retrouver Claude et Joanne pour le déjeuner.
Elle était près de la porte d’entrée quand celle-ci s’ouvrit brusquement, ce qui la fit sursauter. Deux hommes entrèrent. Ils étaient en pleine discussion, un dialogue apparemment bien animé, et ne firent pas attention à la nouvelle employée. Ils lui coupèrent la route. Anne ne s’en offusqua pas et les laissa prendre un peu d’avance. Elle en profita pour les observer de dos. L’un d’eux était de petite taille, grisonnant avec une énorme moustache. Elle avait pu l’apercevoir au moment où il était entré dans la maison. Elle avait également aperçu un tablier bleu et il portait encore son chapeau de paille. 

—  Le jardinier, pensa-t-elle.
L’autre homme était beaucoup plus distingué et très élégant. Il portait un costume vert qui faisait ressortir le vert de ses yeux. Ça, elle le découvrirait bientôt. De grandes tailles, sûrement 1m80, ses cheveux blonds comme les blés et son teint mate fit dire à la jeune fille qu’il devait faire partie de la famille De Hohenzollern.
Quand ils entrèrent dans la cuisine, ils saluèrent Claude et Joanne et se rendirent compte que ces derniers regardaient derrière eux. Ils se retournèrent et découvrirent la nouvelle venue.
Ce fut le jeune homme blond qui prit la parole :

 — Qui êtes-vous ? Demanda-t-il, étonné par cette présence qu’il n’avait pas sentie avant.

Anne, mal à l’aise, répondit rapidement en faisant, sans savoir pourquoi, une discrète révérence comme si elle se tenait devant un membre de la famille royale : 

 — Je suis Anne Copperfield, la nouvelle dame de compagnie de Madame.

Elle veilla à utiliser le patronyme par lequel Eugénie aimait être appelée par les domestiques de la maison.

 — Oh enchanté, réagit le jeune homme qui avait oublié qu’on attendait une remplaçante, je suis Clark, le fils de la maison et voici notre jardinier et ami Owen Florenberg. Il accompagna sa phrase avec une accolade chaleureuse sur les épaules du jardiner, aussi mal à l’aise qu’Anne face à cette présentation inattendue.

La jeune femme salua à nouveau les deux hommes de la tête, étonnée par cette familiarité que manifestait le fils de la maison pour le jardinier. Il l’avait qualifié d’ami, et en effet, son attitude montrait qu’il le considérait comme tel. Elle se dit qu’elle allait sûrement très bien s’entendre avec lui. Elle put faire plus ample connaissance avec les deux hommes qui se joignirent à eux pour le repas. Cela rendit la pause très agréable. Anne rit, une bonne partit du repas tant l’ambiance était détendue et conviviale. Elle reprit le travail le cœur léger se disant qu’elle avait fait le bon choix en venant s’installer ici.

L’après-midi passa vite. Elle avait beaucoup à faire pour remettre de l’ordre dans cette grande maison que personne ne semblait entretenir. Chaque pièce lui offrait une vue très agréable. Elle était autorisée à travailler en musique. Elle ne se priva pas pour mettre, partout où elle allait, sa musique préférée.
À la fin de la journée, Anne était exténuée, mais heureuse. Après le dîner, elle rejoignit sa chambre satisfaite de ce premier jour.
Claude et Joanne lui avaient proposé de sortir, mais elle avait refusé bien trop contente de se reposer et de prendre un peu de temps pour joindre sa famille et leur dire à quel point elle était bien accueillie.

 — Bonjour maman, dit-elle quand le son et la caméra furent activée. Comment vas-tu ?
 — C’est plutôt à moi de te poser la question, lui répondit Isabelle. Comment s’est passée cette première journée ?
 — Attendez moi, je veux être là aussi !
C’était Paul qui parlait de loin. Cela fit sourire Anne. Une fois que Paul fut enfin installé aux côtés de sa mère, Anne leur raconta son arrivée de la veille et sa première journée. Isabelle fut ravie d’entendre que sa fille était bien accueillie et qu’elle se sente bien dans cette nouvelle famille.
Anne leur montra sa chambre grâce à la webcam ainsi que la magnifique vue. La lueur du soir donnait au jardin un aspect très paisible. Au loin, on apercevait la colline sur laquelle était juchée le château des Hohenzollern. Anne repensa à ce qu’elle avait ressenti le matin à l’hôtel. Elle décida d’en parler à sa mère.
 — Maman, ce matin, j’ai eu l’impression d’être déjà venue dans la région. Est-ce que tu te rappelles si je suis déjà venue ici avec papa ?
 — Oh, non, je ne me souviens pas ma chérie. 
Voyant sur le visage de sa fille que cela l’a tourmentait elle ajouta
 — Mais je peux essayer de vérifier dans les papiers de ton père si je trouve quelque chose si tu veux ?
 — Oh merci maman, je veux bien oui.
Ils continuèrent de parler encore 30 bonnes minutes. Paul lui raconta comment il avait réussi à décrocher un nouveau contrat avec un entrepreneur de la région pour vendre les produits de la ferme. Anne fut impressionnée et rassurée. Elle pouvait être tranquille et ne plus s’inquiéter pour la gestion de la petite entreprise de sa mère.
 — Je te félicite Paul, à croire que tu attendais que je parte pour te révéler ! Tu vois maman, tu n’as pas de soucis à te faire.
Isabelle sourit et fut d’accord avec sa fille. Elle était très fière de ses enfants.
Ils se mirent d’accord pour s’appeler une fois par semaine, le dimanche soir, et se quittèrent en s’envoyant plein de baisers virtuels.
Ce soir-là, Anne s’endormit le cœur léger.