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Chapitre 2 – le début d’une nouvelle vie

Le grand jour était enfin arrivé ! Anne allait pouvoir se présenter au manoir en tant que femme de ménage. Même si ce travail n’était pas celui de ses rêves, il allait sûrement l’aider à les réaliser ces fameux rêves. Elle avait pris le temps de prendre un bon petit déjeuner et d’aller faire une grande promenade pour se détendre et ne pas trop penser à ce moment qui ne semblait jamais vouloir arriver. 16h disait l’annonce. Pas avant ! Son impatience était telle qu’elle s’était rendue à pied  jusqu’au manoir bien avant l’heure. Pour ne pas se laisser gagner par ma tentation d’aller sonner à la porte, elle profita de ce temps pour découvrir les alentours. 

Quand 16h sonna enfin, elle faisait tinter la cloche qui trônait à coté de l’imposante porte. Elle se laissa à penser que, bien que d’un autre temps, ce moyen de communiquer avec l’intérieur de la maison lui plaisait bien. Même si un doute subsistait sur son efficacité. Son doute s’évanouit rapidement quand le loquet se fit entendre annonçant que la porte allait s’ouvrir. Elle ne pouvait plus reculer et elle ne le souhaitait pas !

En voyant Claude lui ouvrir, Anne fut si surprise qu’elle resta bouche bée et crut s’être trompée de porte. Claude l’invita à entrer, l’interrogeant du regard. Finalement, elle s’expliqua :

 — Je suis ici pour me présenter pour le poste de femme de ménage. J’ai vu l’annonce dans le journal et c’est la raison de mon voyage jusqu’ici, dit-elle avec un rythme plus rapide qu’elle ne l’aurait voulu.

Elle accompagna ses mots d’un sourire gêné. Elle ne voulait pas qu’il s’imagine qu’elle l’avait suivi ou qu’elle avait cherché à le retrouver.

 — Ce qui explique votre tenue”, dit-il avec ironie. Il avait toujours trouvé ridicule que les maîtres de maison exigent qu’ils s’habillent comme des domestiques des années 1930.

 — Je suis heureux de vous revoir, Anne, venez, je vais vous annoncer à madame Hohenzollern.

La précédant, il l’a conduit au premier étage de la maison. Une maison si grande qu’on pouvait effectivement parler de manoir. Anne avait été impressionnée par la taille de la maison en arrivant. Elle se demandait maintenant comment elle pourrait entretenir une maison si vaste si elle était choisie pour le poste. Elle profita de ce trajet pour prendre le temps d’observer chaque pièce qu’elle pouvait apercevoir pour se faire une idée plus précise de ce qui l’attendait. Claude l’avait accueillie dans un grand hall, aménagé avec des meubles d’une autre époque. Ici, tout lui paraissait être d’une autre époque d’ailleurs. Un immense escalier amenait à l’étage. Il était aussi vaste que long, tournant légèrement vers la droite en fin de montée. En haut de l’escalier, on pouvait choisir d’aller vers la droite ou vers la gauche. Anne pouvait voir deux portes de l’endroit où elle se trouvait, mais il était clair que la maison comptait bien plus de chambres. Elle espérait avoir le temps d’en découvrir plus, même si cette immensité l’effrayait un peu. Elle se résonna, se rappelant qu’en plus de leur maison à Ebenau, elle devait aussi entretenir le poulailler, l’étable et les animaux qui les habitaient. Ces tâches ne l’avaient jamais effrayés bien que demandant beaucoup de temps et d’énergie. Elle prit donc une inspiration déterminée et suivie Claude dans cet escalier qui semblait ne jamais finir. Tout en suivant le jeune homme, elle se rendit de la chance qu’elle avait eu de l’avoir rencontré la veille. Elle se sentait rassurée en sa présence et elle était touchée par sa sympathie. Si son embauche se concrétisait, elle serait contente de pouvoir le croiser et faire plus ample connaissance. Elle avait tellement craint de n’être entourée que de vieilles personnes que c’était un réel soulagement qu’il y ait au moins quelqu’un de son âge.

 — Vous êtes prête, je vais frapper ? L’averti Claude

 — Je suis morte de peur, mais allez-y.

Anne passa nerveusement les mains sur sa jupe pour la défroisser un peu. Il n’y avait pas de fer à repasser dans sa chambre d’hôtel et le voyage dans la valise n’avait pas été très apprécié par la jupe de bonne. Heureusement qu’elle était noire, les plis se voyaient moins. Claude frappa. La jeune fille repensa à la description mentale qu’elle s’était faite de Mme De Hohenzollern. Elle retint son sourire. Ce n’était vraiment pas le moment de penser à ça. Elle jeta un œil à Claude qui se tenait bien droit et elle l’imita, s’efforçant de paraître sérieuse. L’attente lui parut interminable. La porte s’ouvrit enfin. En voyant la maîtresse des lieux, Anne s’en voulut d’avoir si mal imaginé Eugénie. Devant elle se tenait une femme d’une cinquantaine d’années, très élégante. Elle mesurait environ 1m70, elle était svelte et radieuse. Ses cheveux d’un blond doré lui tombaient gracieusement sur les épaules. Son visage clair et très peu maquillé laissait tout loisir d’observer ses grands yeux si clairs qu’on pouvait presque voir au travers. Tout cela faisait de cette femme un être presque irréel, sorti tout droit d’un conte de fées. La jeune femme qui s’attendait à voir quelqu’un de vulgaire fut fascinée par tant de beauté. Claude, qui n’avait rien perdu de son sérieux, la présenta comme une amie. Elle fut touchée. Eugénie regarda avec intérêt la jeune demoiselle qui se tenait timidement face à elle et l’invita à entrer dans ce qui parut être une suite royale. Anne obtempéra, incapable de prononcé un seul mot ! Elle s’en voulu instantanément. Passer pour quelqu’un d’impoli ne faisait absolument pas partie de sa stratégie.

 — Ne faites pas attention au désordre qui règne dans cette pièce et dans les autres d’ailleurs, mais Carla est partie il y a deux mois. Eugénie ne paraissait pas faire attention à cette apparente impolitesse. Tant mieux, se dit Anne toujours transis.

Elle se tut et dévisagea Anne de nouveau. Cela intimida encore plus la jeune fille qui se sentait démunie dans cet environnement si peu familier. Face à elle, Eugénie faisait, quant à elle, preuve d’une grande assurance. Elle ouvrit ce qu’Anne identifia comme une boîte à cigarette. Ce qui lui fut confirmé quand elle vit cette grande dame en sortir un petit briquet et une cigarette si fine qu’on aurait pu croire à une allumette. Eugénie alluma sa cigarette tout en continuant d’observer la jeune fille qui se tenait devant elle. Cette dernière eut l’impression d’être évaluée, ce qui était certainement vrai. Elle finit par poursuivre se tournant vers la grande fenêtre qui donnait sur un grand parc :

  — J’ai horreur de ranger, mais aussi horreur du désordre ! D’où venez-vous ? Lui demanda-t-elle sans se retourner et en continuant de fumer sa cigarette.

 — Je loge en ville, répondit Anne qui était censée être une amie de Claude.

 — Je me suis mal exprimée, s’excusa Eugénie en se retournant, qu’elles sont vos origines ?

Surprise, Anne se demanda qu’elle fût l’intérêt de cette question. Elle s’attendait plutôt à des questions sur ces compétences ou ses anciens postes. Elle répondit tout de même, ne voulant pas se faire remarquer par ce qui pourrait être pris pour de l’insolence :

 — Je suis née en Australie, mais j’ai grandi en Autriche.

Eugénie sembla ravie de cette réponse et posa alors tout un tas de questions sur les origines d’Anne, le mort de son père, sa famille, sa mère et d’autres sujets qui n’avaient aucun rapport avec le poste pour lequel l’entretien était destiné. Cette situation déstabilisa Anne, mais elle répondit à toutes les questions, voulant mettre toutes les chances de son côté.

****

Assit dans la cuisine, Claude pensait à la jeune fille qui était en train de passer cet entretien avec sa très originale patronne. Il se dit qu’elle avait toutes les chances de son côté. Par expérience, il se doutait que le physique d’Anne jouerait en sa faveur. Eugénie était particulièrement attirée par les jeunes filles avec un physique typé. Dans son enfance, sa patronne avait grandi avec la fille de son beau-père qui venait d’Australie. Elle s’appelait Vaiana. Cette relation avait été très fusionnelle. Mme Hohenzollern avait trouvé en elle plus qu’une sœur, Vaiana s’était avérée être son double, son âme sœur, celle avec qui elle partageait ses joies, ses peines… Tout ! Malheureusement, Vaiana était décédée à la suite d’un accident de voiture. Cela avait anéanti Eugénie qui avait mis plusieurs années à s’en remettre. Depuis, elle recherchait l’ombre de son amie à chaque fois qu’elle rencontrait une personne qui lui remémorait son existence. Il s’inquiétait plus pour Joanne. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle serait tout de suite jalouse d’Anne. Joanne était une jeune femme très douce et très jolie. Elle avait vécu une enfance difficile avec des parents qui s’occupaient peu d’elle. Joanne était la dernière d’une fratrie de 7 enfants. Cinq garçons et deux filles. La grande sœur de Joanne était adulée par ses parents. Ces derniers blâmaient souvent Joanne de ne pas être aussi jolie, aussi grande, aussi douée… La jeune femme avait développé un sentiment d’infériorité profond ce qui lui donnait l’impression d’être inférieure à tout autre jeune femme de son âge. Claude, le sachant, faisait tout pour la rassurer et lui donner des preuves de son amour. Mais il savait que cette nouvelle arrivée serait une épreuve pour sa petite amie. Il décida de ne plus y penser pour le moment. Il se leva, et se dirigea vers le hall. Anne descendait justement l’escalier. Il l’attendit observant les traits de son visage. Au sourire radieux qu’elle affichait, il comprit que, comme il l’avait anticipé, Eugénie n’avait pas résisté à son physique venue d’Australie.

 — Bienvenue dans l’équipe, lui lança-t-il avant même qu’elle ait atteint le bas des marches.

  — Merci beaucoup ! Je n’ai pas bien compris ce qu’il s’est passé là-haut, mais je suis ravie d’avoir obtenu ce poste. Et pour fêter cela, je vous invite au restaurant ce soir !

Anne était si joyeuse qu’elle voulait partager ce bonheur avec quelqu’un. Comme elle était seule et nouvelle dans cette ville, elle n’avait que Claude à inviter. Devant l’hésitation de son nouvel ami, elle se rappela qu’il était fiancé.

— Je suis pressée de rencontrer, euh… Joanne, c’est bien ça ? Et j’espère que nous deviendront amies ! Elle accompagna cette phrase d’un sourire sincère. 

Elle se faisait difficilement des amies. Sara était la seule qu’elle avait depuis sa toute petite enfance. La vie les avaient séparées par de nombreux kilomètres, et même si elles s’appelaient le plus souvent possible par Visio, il fallait qu’elle songe à se faire d’autres amies, ici, dans sa nouvelle vie. Claude accepta l’invitation avec enthousiasme. Il était pourtant inquiet, car il devrait d’abord obtenir l’accord de Joanne et il savait que ça n’était pas gagné d’avance.
Il regarda Anne regagner s’éloigner du manoir tout en pensant à sa fiancée. Comment lui présenter les choses pour qu’elle accepte l’invitation de ce soir ? Il lui faudrait faire preuve de beaucoup de doigté.

 — Claude !

Il sursauta légèrement. Se retournant face à Joanne, il lui sourit :

 — Tu m’as fait peur, lui dit-il avec un sourire. J’étais en train de penser à l’invitation que nous avons reçue à aller au restaurant ce soir. Claude l’avait suivi jusque dans la cuisine en lui parlant.

 — Ah oui ? Répondit Joanne, surprise, qui s’afférait déjà à préparer le thé pour Madame. Qui nous invite ?

 — Anne, la nouvelle femme de ménage qu’Eugénie a embauchée à l’instant. Elle vient juste de partir.

 — Et tu l’appelles déjà par son prénom ? Répondit Joanne qui appréhendait toujours quand son fiancé rencontrait des jeunes femmes. J’imagine qu’elle ressemble à Vaiana, comme toutes les autres !

Claude s’approcha de son amoureuse et la prit par la taille. Il l’embrassa tendrement dans le cou pour l’assurer de son amour. Il fit ensuite quelques pas en arrière, la laissant préparer le plateau pour la patronne. Prenant une pomme dans le panier à fruit et après avoir croqué généreusement à l’intérieur, il lui expliqua :

 — Quand je suis allé amener le costume de Monsieur au pressing, hier, je suis tombé sur une jeune fille qui sortait de la gare. Elle avait plus de valises qu’elle ne pouvait en porter. Je lui ai proposé mon aide.

 — Tu ne peux pas t’en empêcher ! Soupira Joanne qui aimait tout autant qu’elle détestait cette qualité chez son compagnon.

 — Tu me connais ! Et il s’avère que c’est cette jeune femme qui s’est présentée aujourd’hui pour le poste de femme de ménage. Elle était tellement contente d’être prise, qu’elle nous a invités au restaurant. Je pense qu’elle avait envie de fêter cette bonne nouvelle en compagnie, et je suis le seul qu’elle connait ici ! Comme je lui avais déjà parlé de toi hier, se dépêcha-t-il d’ajouter avant que Joanne ne se fasse de fausses idées, elle nous a invité tous les deux en me disant qu’elle espérait devenir ton amie.

Après cette longue tirade un peu gênante, il croqua à nouveau dans sa pomme pour masquer son petit malaise, espérant intérieurement qu’aucune crise ne suivrait ses paroles.

 — Bien ! Réagit Joanne, je ne sais pas si on deviendra amie, mais comme nous devrons travailler ensemble, autant faire connaissance rapidement, dit-elle laissant parler sa raison plutôt que ses émotions.

Parce qu’elle appréhendait toujours les nouvelles rencontres. Les relations sociales n’étaient pas son fort. Mais, au moins, elle pourrait voir qui était cette jeune femme avant sa prise de poste le lendemain. Elle sortit de la cuisine avec le plateau sur lequel reposaient la théière, les petits sandwichs et la clotted cream pour le thé traditionnel de 17 h. Mme De Hohenzollern avait des habitudes très anglaises pour une Allemande ! Claude la regarda s’éloigner soulagé par sa réaction. Depuis quelque temps, Joanne réagissait mieux face à des situations qui l’auraient rendue furieuse il y a encore quelque temps. Ses rendez-vous chez la psychologue commençaient à faire effet. Il sourit satisfait et sortit s’occuper du bois, comme tous les lundis soir, en prévision de l’hiver.

****

Anne réfléchit un moment pour savoir ce qu’elle allait porter comme tenue pour cette sortie improvisée. Elle devait trouver le juste équilibre entre tenue chic et décontractée. Chose qui s’avéra plutôt difficile. Ce qui compliquait les choses, c’est qu’elle n’avait jamais rencontré Joanne et ne savait pas du tout quel genre de femme, c’était. Elle ne voulait pas passer pour la campagnarde sortie de sa ferme. Elle opta finalement pour un jean et un chemisier blanc. Se regardant dans le miroir, elle valida la tenue.
Avant de partir, elle devait boucler ses valises, car demain, elle intégrerait sa chambre au manoir des Hohenzollern. Il était prévu qu’un chauffeur vienne la chercher à 7 h 30. Comme elle avait toujours du mal à se lever, elle préféra anticiper et avoir le moins de choses possibles à faire le lendemain matin.
Une fois que tout fut réglé, elle se dirigea doucement vers le restaurant choisi par Claude, qui connaissait bien mieux la ville qu’elle.

La rencontre avec Joanne se passa à merveille. Une fois passée la gêne du début, elles se rendirent compte qu’elles avaient beaucoup de points communs, notamment leur passion pour la lecture de romans policiers. Elles rigolaient facilement à la moindre occasion. Claude les observait affectueusement. À la fin du repas, il leur proposa de poursuivre la soirée par une promenade au Starzel Park. Cette belle soirée d’été était si douce qu’il serait dommage de ne pas en profiter.
Au bout de quelques minutes de balade, Claude s’adressa à Anne :

 — Tu me rappelles ma sœur. Dit-il avec un sourire nostalgique.

 — Oh, tu as une sœur, elle habite dans le coin ? J’aimerais beaucoup la rencontrer ! Répondit Anne très enthousiaste. Joanne regarda avec inquiétude son amoureux.

— Elle s’appelait Mégane, dit ce dernier, elle te ressemblait énormément. Elle aurait eu 22 ans dans un mois.

Anne ne sut quoi répondre, comprenant que Mégane n’était plus de ce monde. Claude ne s’offusqua pas de ce silence, au contraire, il appréciait qu’elle ne lui pose pas de questions. Évoquer la mort de sa sœur était encore très douloureux. Mais il se sentit le courage de lui raconter :

 — Une voiture l’a renversée, commença-t-il, mais ne put aller plus loin finalement, la blessure était encore trop fraîche.

Joanne le prit dans ses bras pour le consoler. Elle savait à quel point c’était douloureux pour lui de parler de cet accident qui n’avait eu lieu qu’un an en arrière. Anne mit une main compatissante sur son épaule.

 — J’ai perdu mon père il y a deux ans, je comprends à quel point c’est une épreuve douloureuse. Dit-elle simplement.

Tous les trois se sourirent et ils reprirent leur route en silence, mais heureux d’être ensemble. Anne se dit encore une fois, qu’elle avait de la chance d’être tombé sur des collègues de son âge et aussi gentils avec elle.

Devant l’entrée de l’hôtel d’Anne, ce fut Joanne qui rompit le silence :

 — Je suis heureuse d’avoir fait ta connaissance, je suis sûre que nous allons passer de bons moments tous les trois et toutes les deux. Dit-elle en prenant Anne dans ses bras pour lui souhaiter bonne nuit.

Sur ces derniers mots ils se séparèrent. Une fois dans sa chambre, Anne qui avait déjà préparé ses affaires pour le lendemain, se trouvait un peu démunie. Elle n’avait pas sommeil et n’avait aucune envie de regarder la télévision. Elle repensa au livre offert quelques semaines plus tôt par son amie Sara. C’était un roman policier qui semblait plein de promesses. Son amour pour ce genre littéraire n’avait pas échappé à sa meilleure amie. Après avoir prit une douche pour se rafraichir et enfilé son pyjama, elle s’installa confortablement dans son lit et se mit à lire avec avidité.